Les sorcières de Vardø
Au XVe siècle, alors que le christianisme s’impose dans toute l’Europe occidentale, les pratiques traditionnelles issues des coutumes germaniques commencent à être violemment combattues. Elles sont alors perçues comme à l’origine de tous les maux et de toutes les guerres, alimentant le folklore populaire. Les accusés, issus de catégories sociales marginales ou suspectés de comportements déviants, sont les cibles toutes désignées pour expurger la vindicte populaire. La pratique de la sorcellerie est l’expression de la misère et correspond à des périodes de crise économique ou sociale locale. Elle apporte des réponses aux crises collectives et à l’angoisse individuelle lorsque Dieu ne répond pas à l’appel désespéré de ses créatures qui cherchent alors une consolation hors de l’Église.
Le long corridor, étroit et sombre, est un endroit propice au recueillement |
La pêche est moins bonne ? L’argent manque ? Un navire s’échoue au large des côtes accidentées de la péninsule de Varanger ? Autant de motifs susceptibles d’attiser la vindicte des habitants qui trouveront aisément des boucs émissaires. Dans cette ville forteresse, 91 hommes et femmes furent immolés au cours du XVIIe siècle.
Sur le lieu des sacrifices des sorcières, à Steilneset, s’érige désormais une œuvre à quatre mains, celles de l’architecte suisse Peter Zumthor et de la plasticienne franco-américaine Louise Bourgeois. Au départ, le mémorial de Steilneset a suscité beaucoup d’interrogations et d’incompréhensions auprès des habitants. « J’œuvre aujourd’hui pour que les gens aient des conditions de vie décentes et qu’ils se sentent valorisés. Pour moi, le mémorial a été ressenti par certains comme une immense erreur, parce que son processus d’élaboration, depuis la décision à la construction, n’a pas impliqué les habitants. Pourquoi avoir choisi un architecte Suisse, une artiste franco-américaine, des entreprises allemandes et des matériaux étrangers ? J’ai ressenti cela comme un nouveau crime contre notre communauté » explique Svein-Harald Holmen.Mais alors, serait-il possible de réconcilier le passé et le présent ? Comment réinsuffler le souffle de la mémoire et saisir l’opportunité de raconter cette douloureuse histoire ? Aujourd’hui, de nombreux descendants des 91 victimes de Steilneset habitent Vardø et gardent en eux, comme une blessure atavique, la cicatrice des souffrances de leurs ancêtres. C’est pourquoi la construction du mémorial délie les langues des habitants et ne laisse personne indifférent.
Les habitants de Vardø enfin réconciliés avec l’histoire
« Je crois qu’il nous faut un peu de temps pour nous approprier cette œuvre. Peut-être que nous devons devenir les acteurs d’une telle réconciliation, à travers l’art. Nous avons besoin de lien social, nous avons besoin de nous retrouver, car nos vies sont rudes et nous sommes très isolés. Je pense que nous avons perdu l’esprit de solidarité qui soudait la communauté lorsque les affaires de Vardø étaient florissantes. Aujourd’hui, la ville accueille un festival de street-art mondialement connu où les artistes viennent habiller les murs des nombreux bâtiments vétustes de la ville. Peut-être qu’il faut amener ce festival à Steilneset, et faire se rencontrer plusieurs formes d’art ? » ajoute le jeune entrepreneur, lui-même lointain descendant d’une victime.
Vardø compte aujourd’hui un peu plus de 2000 habitants |
Une oeuvre puissante et évocatrice
Steilneset se veut une combinaison saisissante entre architecture et art contemporain, propre à créer une émotion puissante. Le mémorial se compose de deux bâtiments, une salle commémorative et un bâtiment en verre qui abrite l’œuvre de Louise Bourgeois. La salle commémorative, grand corps longiligne en structure textile suspendue, se trouve au cœur d’une charpente en bois. Le mémorial s’étire dans le paysage comme un dirigeable échoué sur la grève. On peut pénétrer ce curieux navire par une rampe douce qui mène à la déambulation poignante le long de 91 fenêtres, une pour chacune des victimes de la chasse aux sorcières, ponctuée d’une ampoule à la mémoire de chaque disparu.
La chaise en flamme de Louise Bourgeois symbolise le bûcher |
Peter Zumthor dira de son œuvre : « J’aime les lieux de réflexion, de spiritualité, il n’y en pas assez. (…) J’ai voulu qu’en déambulant dans cette galerie de 135 m de long, des larmes vous viennent aux yeux. ». Louise Bourgeois, quant à elle, signe ici sa dernière œuvre. Sept grands miroirs suspendus dans les airs renvoient l’image déformée d’une chaise en flamme, vide, au centre du dispositif.
Tor-Emil Sivertsen, qui officie dans les cuisines de l’hôtel tenu par sa femme, est lui aussi natif de Vardø. Il a sur le mémorial un tout autre point de vue que son ami. « J’aime ce bâtiment. C’est une magnifique œuvre, très belle et propice à la méditation et au recueillement. Pour ma part, j’aime aller m’y promener en hiver, lorsqu’il fait sombre. »
Tor-‐Emil Sivertsen préfère Steilneset l’hiver |
Mais alors… la culture Norvégienne n’aurait elle pas été à ce point bafouée ? « La structure en bois me rappelle les séchoirs à poissons que l’on trouve partout en Norvège » souligne-t-il. Certes, les matériaux ont été importés, peu d’entreprises locales ont travaillé à la construction, mais aujourd’hui, quel projet de renommée mondiale n’est pas globalisé ? « Tous les jours, des touristes viennent voir le mémorial. Pour l’hôtel et l’économie de la ville, c’est une très bonne chose ».
Le mémorial, la tenue de l’un des plus gros festivals de street-art du monde, les jeunes et moins jeunes qui insufflent un nouvel élan à la ville à travers des projets participatifs, tous ces éléments positifs contribuent à redynamiser la petite ville de Vardø et à fédérer les habitants. « Les ténèbres cèderont devant le soleil », comme le rappelle le blason de la ville.
2 commentaires:
Wow ! j'adore !!
Salut les filles,
J'attendais que vous le mettiez en ligne
J'ai adoré l'émotion est palpable ...
Bravo
Je vous embrasse
Laurence (les aventuriers de la toy ...)
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